Thứ Tư, 11 tháng 8, 2021

' Immondices de Banlieue' / Thế Phong ' -- source: Việt Văn Mới/ Newvietart.com ( 12/ 8/ 2021)

 Việt Văn Mới

       



IMMONDICES DE BANLIEUE



C ette zone de terrain se trouve à environ 7 km de la ville.   D'un côté ce sont les plantations d'hévéas , de l'autre les  rizières et quelques usines de tissage.   Le terrain est servi au milieu, large d'à peu près 6000 m2. La partie antérieure du terrain, empiétant quelque peu les plantations est préposée aux immondices apportées de la ville par des véhicules de toutes catégories spécialement reservées à cette besogne.   Depuis l'arrivée des Américans leurs véhicules s'ajoutent à ceux  des Vietnamiens.   Ils emploient  soit des G.M.C. soit des Jeep tous plus grands et modernes que toutes les voitures que nous recevons d'eux à titre d'aide.   La partie  postérieure de terrain  renferme une rangée de  cinq maisonnettes marquées A, B, C, D, E.   La maisonnette A est située à l'orée des plantations d'hévéas au milieu d'un terrain large de 800 m2.   Lea autres sont des bâtisses sommaires au toit de tôle, aux murs de planches et  sans palissade.

Le propriétaire de ces maisonnettes est un soldat parachutiste dont la compagnie cantone de l'autre côté de la grande route, devant les tas d'immondices.   Il est maintenant démobilisé.  Le tearrain comme la plantation attenante appartiennent de droit au curé de la paroisse, mais le parachutiste a priorité de son prestige militaire pour procéder à l'occupation illégale.   Il n'habite pas les maisonnettes qu'il a construites, mais les loue et vit assez aisément au loyer percu.   Jusquà maintenant la location s'effectue sans histoire.

Puis un beau jour le locataire des maisonnettes A et B lui cherche noise et lui joue un bien mauvais tour.  A la différence de Trân le propriétaire, l'occupant de A et B nommé Dang est un parachutiste  en service et pour le surplus possesseur d'une fabrique de briques, de tuyaux d'égoût et autres accessoires de construction commandés par les entrepreneurs des bâtiments .   Au début il n'a visé que le terrain qui s'étend autour des maisonnettes et sur lequel il projette de bâtir une nouvelle fabrique, mais mis au courant de l'occupation illégale, Dang nourrit  le dessein de déposséder le propriétaire. S' étant  enquis des gou^ts et préférences du cure, il commence par lui offrir un boa, puis une vingtaine de pigeons, et d'autres présents très appréciés.  Il lui propose ensuite de louer le terrain.   Le curé  trouve la chose fort raisonnable.   Trân   le propriétaire est appel ainsi à comparai^tre devant le tribunal pour répondre du délit d'occupation illégale d'un terrain qui fait l'objet d'une location réglementaire.  Trân a beau demander à son avocat de la défendre, il perd son procès parce qu'il ne peut y mettre le prix qu 'il faut  -  chose qui arrive à toute société humaine actuelle - il se voit  imposer un délai se demonter ses maisonnettes.   En attendant l'expiration de ce délai qui dure quelques mois encore, Trân loue provisoirement la maisonnette B à un autre parachutiste et la maisonnette A  à l'oncle Chanh, qui est mon hôte et bienfaiteur .   Le dernier, quoique très pauvre, a  bien voulu m'héberger depuis que mon métier d'écrivain me reduit à l'état de chômage.     C'est ainsi que je viens habiter cette zone de banlieue reservée aux immondices.

Au début les habitants de A et de B se montrent d'une parfaite gentillesse mutuelle.  Les marques de bonté même n'ont pas manqué.   Tiêt le parachutiste habite avec sa femme, sa fillette qui apprend à marcher et ses deux jeunes frères.  Il part chaque jour pour son travail, et laisse a sa femme la tâche de récupérer les choses utilisables que les Américans deservent dans le tas d'immondices.  Elle est aidée dans ce travail par M. Thuoc, un refugié nord-Americans vietnamien d'un certain  âge qui habite dans le quartier ouvrier situé à l'autre côté de la plantation d'hévéa.   Ce coin de forêt d'hévéaculture est pour ainsi dire un vaste cabinet d'aisance public pour la soixante de familles de travailleurs qui logent dans ces parages.

Tous les jours, un convoi de plusieurs dizaines de camions vient de vider leur cargaison de rebut.   Immondice serait peu-être impropre puisqu'on ramasse dans ces tas de planches, des caisses en bois ou en carton, des malles contenant des uniformes usés, des boi^tes de conserve, les cartouches vides de roquettes, etc... en un mot tous les déchets possibles de la guerre.

Chaque fois que les camions arrivent devant nos maisonnettes, les habitants de B se mettent à offrir aux conducteurs étrangers de verres de coca-cola, de bière, de limonade.   A la vue de ces déchets que les revendeurs ne mésestiment point, je ne peux m'empêcher de faire des évaluations mentales : une caisse en bois vide vaut de 80 à 150 pisatres, une en carton 60 piastres, deux douilles de roquette 10 piastres : les honoraires d'un haut fonctionnaire de la classe A ne représentent que la moitié que ce que le ménage de B à ce travail de récupération pensé-je.   Chose humiliante pour mon métier d'écrivain, le cou^t d'un livre ne dépasse guère le prix d'une dizaume de douilles de roquette.   La famille de l'oncle Chanh dépense chaque jour pour l;e marché 12 piastres soit deux fois et demi le prix d'une douille.

Malgré ces calculs l'oncle Chanh et ses enfants ainsi que moi-même ne sommes point obsédés par le démon de l'envie.   Nous  supportons tous les soirs la fumée des immondices brûlées qui nous fait larmoyer.

Pendant les premiers jours de notre instalation, Tiêt le parachutiste se montre assez serviable et une fois même a proposé à l'ai^né de l'oncle Chanh de se servir des planchettes de bois recupérées comme combustible au lieu de les acheter au marché.   L'oncle Chanh loue Tiêt auprès de moi pour sa correction et sa gentillesse.   Je hoche la tête en signe d'assentiment sans rien ajouter.   Un homme comme  Tiêt, au maintien posé, au sourire facile, un brin d'artiste ( il gratte un peu la guitare ) et débrouillard avec son anglais suffisant pour se faire comprendre des Américains, un homme qui ne cherche presque  et ses sorties, voilà pour moi un homme correct.   Qu'il soit cultivé ou non, ca n'a pas la moindre importance pour le voisin conciliant que je suis, nullement curieux en ce qui concerne la vie privée des autres.

Par contre Trân, le propriétaire drs maisonnettes me raconte bien de mauvais choses à propos de mon voisin parachutiste.  Il parai^t que Tiêt  était bien pauvre à son arrivée.   Maintenant grâce à son anglais petit-nègre il sait se débrouiller auprès des Américains déchargeurs d'immondices, se fait leur complice pour certaines choses.   Des cargaisons  pleines de planches neuves, des vêtements militaires encore portables, ils les amènent pour donner ou vendre à bas prix  à  Tiêt.   Celui-ci, commencait à faire fortune, a l'air trop hautain envers Trân parait-il.   J'écoute ce dernier sans essayer de le faire parler davantage.   Ses propos me semblent être dictés par la jalousie, et il cherche sans doute à attirer l'oncle Chanh et moi à ses côtés.

Un soir, au retour d'une promenade, je vois Tiêt torse nu, assis devant sa maisonnette, flanqué d''un poste de radio Philips cou^teux.   Il sourit à ma vue et se met à me confier:

Ce gaillard Trân essaie de me  nuire vous savez ! Parce que les Américains ont la sympathie envers moi et m'ont une fois donné un camion plein de planches neuves, alors il m'envie.   Vous savez qu'on m'a volé un certain nombre de planches.  Après enquête, c'est lui-même le voleur à ce que j'ai appris !" Come d'habitude, je n'ajoute ni ne retranche rien à ce genre de propos.   Tiêt ajoute:

" Je ne lui en veux pas jusqu'à la haine; mais puisqu'il les a prises, il devrait le reconnai^tre c'est tout"   .Puis Tiêt passe à un autre sujet: " Dans quelques temps je partirai faire des études aux États- Unis.   Quelques amis américains ont fait des démarches pour moi.   Une fois arrivé là bas je n'aurai aucun soucis mais c'est à l' avenir de ma femme et de mes enfants que je pense ."

Les confidences de Tiêt me rappellent les soirs òu des Américains viennent lui rendre visite.   Sa femme dit à son jeune frère de payer le taxi qui arrive croyant faire là un geste de savoir-vivre et d'hospitalité.   Elle raconte aux voisins comment s'est passée chacune de ces visites qui lui semblent un grand honneur et entretiennent sa fierté.

Les cinq maisonnettes ont une cuisine et une salle de bain en commun du côté arrière.   Paperasses et ordures sont éparses sur le sol.   Personne n'a cure de la propreté commune.   Un jour, quand je ramasse quelques feuilles de papier par terre pour faire du feu, le hasard m'a fait apercevoir une lettre écrite en anglais que je me mis à lire, par curiosité:

Mon cher ami M.,

Vous n'avez pas à acheter  des cadeaux pour ma femme.   Je vous demanderai seulement d'acheter pour moi 50 tubes de cigarettes Pall-Mall, Lucky ou Salem et 20 boi^tes du tabacs à pipe 79.   A Noel prochainje vous amènerai dans un endroit épartant. La fille viêtnamienne est très belle. 

Ce soir je vous attente chez moi.  

       Bien à vous,

   TIÊT

Je ne me souviens plus très bien de l'original en anglais mais une seule phrase a frappé mon attention c'est l'avant-dernière, avec ses mots : " The Vietnamese girl is very beautiful".  Cela m'a fait rire .

Depuis que ses affaires d'immondices rapportant, Tiêt s'habille avec un luxe un peu recherché, à la manìère d'un fils de famille parvenue.   Chaque dimanche matin, il porte toujours un complet même s'il fait chaud.   Les jours de fête, il va au restaurant tout à côté sans oublier de parfumer ses vêtements.   La mise est toujours élégante comme celle d'un fonctionnaire célibataire de la catégorie A.   Il ne fume que du Lucky ou du 79.   Le savon avec lequel il se lave est d'un parfum pénétrant et tenace comme j'ai pu constater une fois quand il l'a oublié dans la salle de bain commune attenante à nos maisonnettes.   La famille de Tiêt peut se procurer tous les aliments cou^teux que les Americains consomment au Vietnam : fruits, viandes en conserve, bonbons, crème, café, chocolat.   Il m'est arrivé, dans les jours de gêne extrême, de pouvoir me passer de cigarettes grâce au parfum de mixature des bouffées de 79 qui parvient jusqu'à moi.

Jour après jour les camions américains viennent vider leur cargaison de leurs luxueuses " immondices" de préférence dans la cour de la maisonnette de Tiêt ce qui ne fait qu'avivre l'animosité que Trân nourrit contre lui.   Surtout à partir du mois dernier Tiêt refuse de payer le loyer à son propriétaire sous prétexte que celui-ci lui a volé des planches de bois.   Le loyer n'est que de 300 piastres, le 1/10 de ce que Tiêt gagne par jour dans son commerce avec les conducteurs de camions américains.   L'inimitié risque de durer et de faire tache d'huile car à l'autre bout  du terrain près de soixantaine de familles vivent  aussi grâce à la besogne de fouiller les tas d'immondices.   Elles ne désirent qu'une chose : qu'un certain nombre de camions ne s'arrêtent pas devant la cour de chez Tiêt mais parviennent jusqu'à l'orée de la plantation et y vident leur charge  pour qu'elles puissent avoir leur part de produits de récupération.

En realité, quelques camions dédaignent  de s'arrêter devant la maisonnette B parce que leurs chauffeurs n'aiment pas à être flattés par la famille de Tiêt et sont insensibles au marques de sympathie désintéresées prodiguées par celli-ci.   Malheureusement, ces camions transportent des vrais déchets quasi-irrécupérables et sales qui méritent bin eux le nom d'immondices !

 Un beu jour, Tiêt commence à s'en prendre à l'oncle Chanh parce que ce dernier, alléguant le prétexte d'une fête de famille tant soit peu solennelle lui   demande de dégager la cour de tous les tas de planches de bois qui l'encombrent devant les maisonnettes.   Tiêt n'a pas protesté et a déplacé toutes les planches qui gênent l'entrée commune .

La fête s'est passée  dans une atmosphère de liesse, on note la présence de quelques personnages d'importance : un avocat, un magistrat, un commissaire de police, les uns étant mes amis, les autres ceux de l'oncle Chanh.

 Peu après ce dernier apprend que son voisin de B a signalé aux autorités une " importante réunion" dans la maison de A pour ourdir on ne sait pas quoi.   L'oncle Chanh commence alors à se tenir sur la défensive tout en attendant l'occasion de la revanche.

Entre les deux adversaires, je garde une attitude silencieuse et tiens tout  cela pour une mesquine querelle d'intérêts. En fait la guerre froide a éclaté entre les familles A et B et entre d'emblée dans une phase décisive.   Du côté A, en plus de l'oncle Chanh il y a Trân le propríétaire et cinquante autres familles qui vivant du métier de chiffonniers au bord de la plantation.

Parlant de ces familles, je ne peux m'empêcher de revoir l'image d'une petite foule de Viêtnamiens d'origine Khmère misérables, déguenillés, des femmes malpropres aux seins étirés, presque à découvert, portant leurs bébés de quelques mois attachés sur le dos, courbant l'échine pour fouiller dans les immondices avec une pelle.   Le lourd relent qui s'y exhale suffit à me donner des maux de tête insupportables après cinq minutes; pourtant ces gens s'y vautrent à longueur de journée.   Ils récupèrent patiemment des bouts de corde, des morceaux de ferrailles, des bouteilles vides qui y sont enfouis.

Les enfants se bagarrent parfois jusqu'qu sang pour disputer les uns aux autres un pantalon miliatire encore utiliasble.

 L'oncle Chanh continue de me tenir des propos malveillants sur la famille B : la femme de Tiêt, d'origine chinoise, a été fille publique avant de se ranger grâce aux profits tirés des immondices, elle fait maintenent la fière avec les voisins, etc...

Les camions américains continuent de vider leur cargaison de douilles de roquette, de caisses en bois... fort appréciées.   Les Chinois de Cholon achètent les douilles pour récupérer le cuivre.

Un jour l'oncle Chanh prend la décision de porter plainte contre Tiêt à mon insu : il met en avant le manque d'hygiène causé par la fumée des ordures brûlées : Trân le porprétaire lui aussi ne demeure pas oisif, il accuse Tiêt auprès des autorités militaires américains de colluder avec les chauffeurs des camions d'immondices pour faire du marché noir contre pots-de-vin et entremise galante.

La vie continue son train misérable dans les parages des tas d'ordure.   Les enfants sont chaques jour plus hirsutes, plus maculés; une fois il m'est arrivé de voir une fille de dix- sept ans  à la mise négligeante, déguenillée, de tenir près de immondices en train de lécher sa main tachetée de chocolat.   Elle ressemble à une vieille, tant elle est maigre et ratatinée, courbée sous le poids de l'extrême indigence.   À ses côtés sa petite soeur pleure et l'injurie pour lui avoir ravi de morceau de chocolat déniché dans le tas.   Je me détourne, saisi d'un haut le-cour irrésistible.   Cette fille de dix-sept ans famélique, je l'ai apercue quelquefois se donner à des clients d'occasion dans l' ombre nocturne de la forêt d'hévéas.  Sans cela elle serait morte de faim depuis longtemps.   D'autres couples prennent le même chemin sous l'égide de la même misère obscure.

A ces images viennent se mêler celles qui me sont offertes par la famille de Tiêt qui recoit souvent la visite des étrangers lui apportent cigarettes, whisky, boi^tes de conserve, sans compter les produits de récupération  bénéfiques.   Je ne me sens aucune pitié pour Tiêt d'un récent vol qui a cou^te sa radio Philips, sa garde-robe et toutes ses économies.

Un soir j'entends la voix haletante de l'oncle Chanh qui fait  semblant d'appeler les voisins à sa rescousse:

"Au secours ! A moi ! Le " cow-boy" veut me battre!"

En sortant de la maison je vois Xi le jeune frère de Tiêt le visage furieux et agressif:

" Espèce de vieux c... ! Qu'est- ce qui te prend de me guetter?"

Ce langage d'un jeune de vingt ans me surprend par sa grossièté immodérée.    Je me souviens que Xi est le cammarde de fils ai^né de l'omcle Chanh, et je  devine que Tiêt tramant quelque coup contre le vieillard se sert de son frère comme ballon d'essai.

" Au secours, ce" cowboy" veut m'attaquer.   Il m'a provoqué, vous en êtes tous témoins.   Ce salopard me cherche des histoires.   Je te crois la figure si tu sors de ta maison !"

Les voisins accourent de tous les   côtés.   Mon  hôte recommence à crier bruyamment:

 " Hum, où est -tu, va chercher un agent.   Ce vaurien veut  porter la main sur ton père."

Xi s'en va vers sa maison.   Ses jeunes sont d'une violence égale à ceux de l'oncle Chanh.   Celui ci brandit son bâton et fait mine d'avancer.   Xi, les mains sur les hanches, continue de lancer juron sur juron.   Deux agents de police s'amènent enfin.

"J'en appelle à tous mes voisins comme témoins, il a voulu me frapper ; j'ai appelé au secours ."

Tiêt sort de sa maison, vêtu de son uniforme de treillis.  

Cette tenue de combat sans galons ne permet pas de distinguer si l'on est soldat ou officier.   Les agents de police d'ordinaire ont beaucoup de considération pour les parachutistes, vu leur complexion impétueuse.   L'un des agents, conciliant, dit à Tiêt:

" Nous sommes venus parce que qu'on nous appelés.   Nous ne savons pas encore ce qui s'est passé."

L'oncle Chanh se met à énumérer ses griefs.   Finalement il est invité à suivre les agents au commissariat accompagnés par le parachutiste et son frère" cow boy".

Le soir on voir rentrer non pas le trio mais seulement les deux personnes belligérantes.   Tiêt a  été retenu pour complément d'information sur quelques affaires de marché noir et de trafic auxquelles il s'est trouvé mêlé.

Deux policiers militaires américains sont venus à leur tour pour enquêter sur les activités extra-professionnelles des déchargeurs d'immondices.   La femme et le jeune frère de Tiêt se montrent désormais humbles et effacés devant les voisins.   Plus l'absence de Tiêt se prolonge, plus sa famille s'achemine vers le ge6ne.   Au bout de quelques semaines la situation devient vraiment critique pour la femme qui a à nourrir plusieurs bouches sans tirer plus aucun profit du métier de chiffonnier puisque les camions américains ne s'arrêtent plus chez elle comme c'était l' habitude.

Cette femme est surprise par dessus le marché en train de " se promener" avec des étrangers dans les recoins  de la plantation d'hévéas qu'on surnomme la forêt d'amour.    Tout le quartier se donne dès lors libre cour aux médisances là dessus.   On  savait déjà son passé équivoque.   Quelle éclatante confirmation ! Les protestations de la femme faiblissent de jour en jour.    Finalement elle reconnai^t son fait sans fausse honte dans une avalanche de jurons et injures qui enterrent toute la littérature des mauvais langues du lieu.

L'oncle Chanh victorieux de la récente dispute apparai^t comme le bienfaiteur des familles besogneuses qui vivent au bord de la plantation.   A sa vue, on l'acclame :

" Grâce à vous, nous pouvons mieux vivre maintenant ".

Les camions américains en effet ne s'arrêtent plus les maisonnettes A, B, C, D, E.  Une rangée de barbelés les sépare maintenant de la route.   Une fois, un G.M.C. s'arrête de l'autre côté des barbelés, son chauffeur apercoit la femme de Tiêt lui faisant signe de faire un détour pour venir devant la cour de chez elle.   L'aspect fort peu carrossable du chemin decoit le chauffeur, qui s'en va tout droit jeter sa cargaison plus loin, pèes de plantation.   Les enfants des familles pauvres qui habitent là crient de joie.   Xi, sa belle soeur et son petir frère accourent pour disputer quelques caisses en bois ou en carton, mais une volée de pierres accompagnées des regards haineux et des poings levés vers eux les font reculer sans tarder.   Leurs jurons et leurs insultes ne font rien à ceux qui s';estiment frustrés depuis trop lontemps dans leur droit de vivre.   Sur les camions, des soldats étrangers regardent le spectacle avec des sourires amusés.   Et ces fourmis humaines de ramener patiemment leur prise au foyer.  

Chaque matin désormais     je vais satisfaire mes besoins dans la forêt d'hévéas  je vois une foule d'adultes et d'enfants s'accroupir au bord de la route dans l'attente des  camions américains qui viennent déverser les mannes quotidiennes.  Les visages de ces ramasseurs d'immondices de tout âge me semblent animés par la joie et l'espoir, eux qui étaient si tristes auparavant.   Je revois les enfants, moins sales, moins émaciés et exsangues qu'auparavant.   Cette fille de dix-sept ans qui avait ravi sans pitié un morceau de chocolat à son petit frère se tient maintenant sous un hévéa, habille plus décemment, en train de sourire à un garcon de son âge.

Tiêt est relâché au bout de quelques semaines.   Depuis qu'il est rendu à sa femme et à sa famille il s'enferme dans un silence absolu et ne fait plus le fier avec les voisins.  L'oncle Chanh aussi se tait, et fume beaucoup de tabac.   Je comprends qu'il réfléchit à un problème très  difficille mais ne veut pas me  le dire .   Je finis par apprendre que  des créanciers l'asasaillent de toutes  parts.   Son fils ai^né doit s'en aller vivre auprès des parents qui font du commerce quelque part dans une province au sud de la  capitale.   Le reste de la famille composé de trois personnes, l'omcle, son fils cadet et moi survivons dans le strict nécessaire.  Le riz rouge est trouvé au jour le jour et pour tout aliment nous consommons des poissons salés et séchés.   Dans les  pires moments de l'indigestion, le moindre hoquet fait remonter en moi l'image d'un poisson !

 Un beau jour l'oncle Chanh prend lui-même la décision de quitter ce quartier de banlieue pour émigrer à Dalat òu il  espère mieux gagner sa vie.

Pour ma part, je me sens dans l'obligation de rentrer à Saigon pour ne  pas être une charge de plus pour lui dans ses moments difficilles.

Nos adieux sont brefs et émouvants.   Je serre la main du père, caresse les cheveux du fils cadet:

" Je ne vous dis pas que je vous remercie.   Vous m' avez hébergé dans des conditions si difficiles et je n'ai  pu rien faire pour vous.   Votre humanité me remplit de confusion .   Je n'ai rien à vous dire, mais j'espère que nous reverrons quand l'avenir sera un peu meilleur..."

Le père et le fils montent dans l'autobus, accompagnés de leur chien Loulou.   Je prends la direction inverse flanqué de ma chienne Lili.    A part d'un petit paquet de bagage et une somme d'argent juste assez pour payer une course de cyclo pour nous deux, ma chienne et moi, je n'ai plus rien, rien que mes trente ans et mes deux mains vides. ./.






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